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La population mondiale augmente. Plus de huit milliards d’êtres humains peuplent aujourd’hui la Terre. Et selon les estimations de l'ONU, ils pourraient être onze milliards d'ici la fin du siècle. De l'autre côté, le changement climatique multiplie les phénomènes météorologiques extrêmes, tels que les périodes de sécheresse. Alimenter l’humanité relève de plus en plus du défi. Nous pouvons y faire face, entre autres, avec des variétés de plantes robustes, adaptées par exemple à des conditions extrêmes. Mais où les obtenir ? Par la culture sélective classique ? Ou aussi par génie génétique ? Quelle est la différence ? Et pourquoi de nombreuses personnes rejettent-elles fondamentalement le génie génétique vert ? Nous avons enquêté sur ces questions et vous livrons ici les réponses.

En bref : le génie génétique vert est-il dangereux ?

Jusqu’à présent, il n’existe aucune preuve scientifique mettant en évidence que les plantes génétiquement modifiées présentent un risque plus élevé pour la santé que les plantes sélectionnées de façon traditionnelle.

De nouveaux procédés comme l’édition du génome, c'est-à-dire la modification ciblée de l'ADN, rendent les interventions génétiques plus simples et plus précises. Il n’est pas possible de distinguer a posteriori les variétés obtenues de cette manière de celles sélectionnées de façon conventionnelle.

Bon nombre des inconvénients, tels que la promotion des monocultures, la perte de biodiversité ou la monopolisation opérée par les producteurs de semences, qu’on associe souvent au génie génétique vert, sont davantage attribuables à notre système sociétal qu'à la technologie du génie génétique.

En Europe surtout, il existe d’importantes réserves et une attitude de rejet face au génie génétique vert dans de larges couches de la population.

Le génie génétique vert, à l’instar de nombreuses technologies, n’est ni la panacée ni le plus grand péril pour l’humanité. C’est un débat en noir et blanc. La réalité, en revanche, est faite de nuances de gris.

Pour, d’une part, ne pas renoncer au potentiel que recèlent les procédés de génie génétique pour l’adaptation au changement climatique et à la croissance démographique et, d’autre part, ne pas ignorer les risques potentiels à venir, il convient de continuer à aborder le sujet non pas avec une dureté idéologique, mais avec discernement.

Bien sûr, les problèmes de distribution jouent aussi un rôle dans l’alimentation de l’humanité ou le fait que de nombreux aliments sont gaspillés. Nous ne nous étendrons toutefois pas sur cet aspect.

Qu’est-ce que le génie génétique vert ?

Le génie génétique vert est un domaine de la biotechnologie dans lequel des gènes déterminés d’une plante sont modifiés en laboratoire au moyen de différents procédés technologiques. Cela doit par exemple permettre à la plante de devenir plus résistante – c’est-à-dire d’être moins vulnérable aux parasites, aux herbicides ou à la sécheresse. On peut aussi y parvenir par la culture sélective classique, mais le procédé prend généralement beaucoup plus de temps. L’objectif peut aussi consister à doter la plante de toutes nouvelles propriétés, par exemple une autre composition nutritive. C’est très difficile à atteindre avec la culture sélective classique. Pour ce faire, des gènes codant pour la propriété souhaitée sont introduits dans le génome d’une cellule végétale. Si les gènes proviennent de la même espèce, on parle de cisgenèse. De tels changements peuvent aussi survenir par hasard dans la nature. Si les gènes proviennent d’une autre espèce, on parle de transgenèse. De tels changements ne se produisent généralement pas dans la nature, car les espèces étrangères ne peuvent habituellement pas se croiser (à quelques exceptions près).

Le débat sur le génie génétique est souvent mené en noir et blanc. Mais le génie génétique se décline dans un grand nombre de couleurs : il y a le génie génétique rouge (médicaments), le génie génétique vert (culture sélective), le génie génétique blanc (micro-organismes dans l’industrie), le génie génétique gris (micro-organismes pour les déchets) et le génie génétique bleu (océans) :

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Génie génétique blanc

Le génie génétique blanc vise à modifier génétiquement des micro-organismes afin qu’ils produisent des matières premières pour l’industrie. Par exemple, des vitamines qui sont utilisées comme compléments alimentaires. Ou des enzymes qui sont actifs dans les détergents.

Génie génétique gris

Le génie génétique gris, lui aussi, concerne principalement les micro-organismes. Ces derniers sont modifiés de manière à pouvoir traiter des déchets ou éliminer la pollution. Ils assimilent du pétrole, des poisons ou des substances radioactives et les neutralisent ou les fixent.

Génie génétique bleu

Contrairement au génie génétique rouge, vert, blanc ou gris, le génie génétique bleu n’est pas associé à une branche spécifique, mais constitue le réservoir dans lequel les scientifiques puisent : les océans. Selon la science, les gènes de l’ensemble des bactéries, algues ou spongiaires recèlent un trésor qui masque encore le potentiel génétique terrestre. En effet, de nombreux organismes qui vivent dans les océans ont développé des capacités étonnantes au cours des trois derniers milliards d'années. Ils produisent des substances qui peuvent s’avérer intéressantes pour la médecine, l'industrie et l'agriculture.

Génie génétique rouge

Le génie génétique rouge désigne toutes les recherches et applications qui promettent des bénéfices médicaux. Il s’agit ici de diagnostiquer et de traiter des maladies par des moyens que le génie génétique met à notre disposition. Citons par exemple les vaccins ou des médicaments comme l’insuline, qui sont produits par des micro-organismes génétiquement modifiés. Les tests génétiques qui permettent de détecter les maladies relèvent eux aussi du génie génétique rouge. Et il existe des tentatives de traiter des maladies avec des thérapies géniques dans le corps directement.

Génie génétique vert

Le génie génétique vert concerne les plantes que nous cultivons pour notre alimentation. Il est aussi appelé génie agricole et peut être considéré comme une évolution de la culture sélective classique.

Qu’est-ce qui distingue le génie génétique de la culture sélective ?

La culture sélective et le génie génétique poursuivent tous deux le même objectif : produire de nouvelles plantes dotées de meilleures caractéristiques. Pour ce qui est de la culture sélective, il existe de nombreuses méthodes différentes. Certaines sont très classiques ou traditionnelles, alors que d’autres utilisent les technologies avancées. Le génie génétique est une méthode de sélection biotechnologique particulière qui repose sur des technologies avancées et offre le plus de possibilités dans l’arsenal des producteurs de végétaux. Mais c’est aussi la plus controversée. Voici un bref aperçu historique.

À partir du moment où l’homme a commencé à cultiver sa nourriture, il y a environ 10 000 ans, il a aussi interféré avec le génome d'autres espèces. S’il s’agissait certes d’une démarche inconsciente au départ, elle n’était pas le fruit d’un hasard. En effet, l’année suivante, on semait les graines de la plante qui avait porté des épis particulièrement grands ou dont la récolte avait été plus facile. L'homme a ensuite progressivement opéré une sélection consciente selon ses propres critères. Cette sélection artificielle était monnaie courante durant une grande partie du XIXe siècle. Ce n’est qu’avec les lois de l’hérédité énoncées par Gregor Mendel et la théorie de l’évolution de Charles Darwin qu’on a pu concevoir ce que nous entendons aujourd'hui généralement par culture sélective.

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Gregor Johann Mendel : compter pointilleusement des pois pour la science

Le prêtre et naturaliste Gregor Johann Mendel est considéré comme le père de la théorie de l’hérédité. On savait certes déjà avant lui comment croiser les plantes entre elles, mais il a été le premier à réaliser des essais systématiques. Aujourd’hui, on ne peut évoquer son nom sans faire référence à ses objets d’expérimentation : les pois. Il a croisé au total 22 variétés et a comparé les 12 980 descendants avec les parents. Dans ce contexte, il a examiné sept caractéristiques qu’il a définies : la forme de la graine et le cotylédon, la couleur de la fleur, la forme et la couleur de la cosse ainsi que l’emplacement et la taille de la tige. Il a ainsi dégagé trois grandes règles de l'hérédité, à savoir les lois de Mendel.

 

En effet, grâce à ce qu’on savait de la manière dont les caractéristiques des parents sont transmises aux descendants, il était possible de croiser entre elles les plantes présentant les propriétés souhaitées et de sélectionner la meilleure descendance. Le croisement ou la sélection combinée a constitué une avancée. Ce procédé a permis d’accentuer certaines propriétés des plantes. L’ajout de nouvelles propriétés – comme la résistance à un certain parasite – était une question de chance.

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Code de la vie – Qu’est-ce que le génome et comment est-il constitué ?

Le code de synthèse de toute vie terrestre s’écrit à l’aide de quatre lettres : À, G, C et T. Elles désignent les bases nucléiques adénine (A), guanine (G), cytosine (C) et thymine (T). Associée à une sorte de « fixation » formée par un sucre et un phosphate, chacune de ces bases constitue un nucléotide. Au niveau de ces « fixations », les nucléotides se combinent entre eux pour former un brin enroulé : l’hélice. Et de l'autre côté, ils se cherchent un partenaire. La cytosine et la guanine s'apparient de même que l’adénine et la thymine. Une double hélice se forme : l’acide désoxyribonucléique ou ADN. L’ordre des différentes bases au niveau de l’ADN constitue le code de la vie. Trois nucléotides consécutifs forment un codon, également appelé triplet. Un tel codon est la recette d'un acide aminé. Il en existe 22 au total, que les différents êtres vivants utilisent comme éléments constitutifs des protéines. Plusieurs codons successifs donnent donc plusieurs acides aminés, qui sont ensuite assemblés pour former une protéine spécifique. Ces protéines se trouvent dans chaque cellule de chaque être vivant. Dans les os, la peau et les cheveux, elles fournissent par exemple une structure. Comme enzymes, elles rendent possibles de très nombreuses fonctions corporelles. En tant que substances toxiques, elles interviennent dans la chasse ou la défense. Et en tant que partie intégrante du système immunitaire, elles repoussent les agents pathogènes. Un gène , quant à lui, est une unité fonctionnelle de notre génome qui contient le code de synthèse d'une protéine, c'est-à-dire la séquence des codons qui contiennent les différentes recettes pour les différents acides aminés. Et l’ensemble de tous les gènes, c’est-à-dire le plan de synthèse de l’organisme complet, c’est ce que nous appelons le génome ou encore le patrimoine génétique.

De temps à autre, des propriétés entièrement nouvelles peuvent aussi apparaître par hasard dans une plante. Elles s’expliquent par des changements dans l’ADN, à savoir les mutations. Des erreurs dans le processus de réplication de l'ADN peuvent être à l'origine de telles mutations. Mais le rayonnement radioactif d’origine naturelle, les rayons UV du soleil ou d’autres influences environnementales peuvent aussi déclencher une mutation. De nombreuses mutations n'ont aucun effet sur la plante. Certaines ont un effet négatif et sont donc à nouveau éliminées du patrimoine génétique. Mais il y en a aussi qui sont avantageuses pour l'espèce végétale. Ces mutations sont transmises et s’imposent par le principe de la sélection. Or, les nouvelles mutations et leur sélection prennent du temps. Et le fait que des propriétés positives pour nous s’imposent de cette manière relève de la chance et du hasard. Mais il est possible de forcer la chance par un traitement agressif, tel que des produits chimiques ou des rayonnements radioactifs. C’est ce qu’on appelle la mutagenèse ou la sélection par mutation, une méthode qui a été introduite dans les années 1940. Le principe de la mutagenèse est le même que celui de la mutation naturelle, mais tout va beaucoup plus vite ! Ici aussi, on intervient massivement sur le génome des plantes (ce qui montre qu’un raisonnement en noir et blanc concernant la culture sélective et le génie génétique n’est pas pertinent). Si cette sélection par mutation ou mutagenèse a longtemps été considérée comme une méthode de culture sélective normale, elle fait partie du génie génétique depuis 2018. Étant donné qu’elle est éprouvée depuis si longtemps, elle n’est toutefois pas soumise aux règles strictes auxquelles répondent les méthodes plus récentes du génie génétique.

Du cobalt 60 dans le parterre de fleurs

 

Le fait que des mutations dans des semences étaient provoquées de manière ciblée par un rayonnement radioactif n'était pas un secret au milieu du siècle dernier. Bien au contraire. Non seulement il y avait des associations comme l’Atomic Gardening Society qui faisaient de la participation citoyenne l’une de ses principales préoccupations. Des jardins gamma  utilisant des isotopes radioactifs comme le cobalt 60 ont également ouvert leurs portes dans le monde entier. Des mutations peuvent toutefois aussi être provoquées par des produits chimiques en laboratoire. Jusqu’à présent, la mutagenèse – c’est-à-dire l’induction de mutations par des rayonnements radioactifs ou des produits chimiques – a donné naissance à plus de 3 200 variétés de plus de 270 espèces végétales différentes. Parmi celles-ci, on trouve non seulement de nombreuses céréales comme le blé, l’orge, l’avoine et le riz, mais aussi des légumineuses, du soja ou des plantes ornementales. Contrairement aux plantes génétiquement modifiées, celles issues de la mutagenèse ne doivent pas être étiquetées ni soumises à un contrôle spécial pour l’autorisation de mise sur le marché.

L’étape suivante de la sélection combinée classique est la sélection de précision. Il s’agit là d’une innovation, car en plus de l'aspect extérieur, on tient aussi compte des gènes des plantes lorsqu'on choisit les bons parents pour le croisement. En effet, si l'on sait qu'un gène est responsable d'une certaine propriété et que les parents disposent de ce gène, alors la nouvelle variété en sera également dotée. Cela simplifie considérablement les essais de culture qui sont habituellement effectués pour les nouvelles variétés. Car normalement, elles doivent montrer dans les essais en champ qu’elles ont effectivement hérité des propriétés souhaitées.

Mais qu’advient-il si la propriété souhaitée refuse de se manifester chez une plante ? Les procédés de génie génétique permettent de remédier à cette situation. Lorsqu’on fait appel au génie génétique classique, on introduit des gènes codant pour la propriété souhaitée dans le génome d’une cellule végétale.

Les gènes incorporés peuvent provenir de plantes de la même espèce. Dans ce cas, on parle de cisgenèse. Il est ainsi possible d’incorporer des gènes de résistance à un agent pathogène d’une ancienne variété dans une variété plus jeune à haut rendement. D’ailleurs, toutes les méthodes de culture sélective classiques font appel à la cisgenèse, car (pour ainsi dire) seules les plantes de la même espèce peuvent être croisées entre elles. Les gènes incorporés peuvent toutefois aussi provenir d’une autre espèce. C’est ce qu’on appelle la transgenèse, une méthode qui permet par exemple de transférer d'une bactérie à une plante une capacité de résistance accrue à la sécheresse.

 

Comment fonctionne le génie génétique ?

Pour incorporer les gènes, on utilise soit une bactérie de l’espèce Agrobacterium tumefaciens comme vecteur, soit un canon à gènes qui les délivre dans la cellule végétale. Les deux méthodes permettent certes d’introduire le gène souhaité dans la cellule, mais l’emplacement exact du code génétique où il est intégré et la fréquence sont laissés au hasard. Souvent, quelque chose se rompt ou ne fonctionne pas comme prévu. C’est pourquoi au-delà de l’« implantation » du gène, il faut chercher une cellule dans laquelle il est correctement positionné. À partir de là, la plante dotée de la nouvelle propriété est alors cultivée  – un processus souvent long et fastidieux. 

Les nouvelles techniques génétiques permettent en revanche de modifier le génome de manière ciblée. Les spécialistes évoquent l'édition du génome dans ce contexte. La méthode la plus connue est sans doute celle des « ciseaux génétiques » Crisp-Cas9, dont la découverte a été récompensée par le prix Nobel de chimie en 2020. Les ciseaux génétiques permettent aussi d’introduire des gènes propres à l’espèce (cisgenèse) ou des gènes étrangers à l’espèce (transgenèse).

 

Qu’est-ce que Crispr-Cas9 ?

Les ciseaux génétiques désignent un procédé que les scientifiques ont copié sur les bactéries. Car certaines d'entre elles ont développé un mécanisme de défense contre les infections virales. Elles mémorisent certaines parties du génome d'un virus. Si une nouvelle infection se produit par après, la bactérie reconnaît l’intrus et découpe son génome de manière ciblée. En 2012, Jennifer Doudna et Emmanuelle Charpentier ont estimé qu’un tel outil serait idéal pour le génie génétique, car il permettrait de travailler sur le génome comme si on utilisait un scalpel, à l’endroit précis où il faut. Il permet par exemple de désactiver certains gènes, car le corps répare l'ADN endommagé. Mais la plupart du temps, des erreurs se produisent, si bien que le gène correspondant ne fonctionne plus correctement. Il est aussi possible d’ajouter de nouveaux gènes qui seront ensuite intégrés à l’intersection lors de la réparation. Ils ont reçu le prix Nobel pour leur découverte.

D’ailleurs, les mutations naturelles et la mutagenèse fonctionnent également selon ce principe, mais par pur hasard. Un facteur environnemental tel que le rayonnement UV, la radioactivité ou les produits chimiques provoquent la rupture de l’ADN à un emplacement imprévisible. Le corps répare les dégâts. Des erreurs se produisent. Des gènes sont paralysés ou se voient peut-être attribuer une nouvelle fonction. Celle-ci peut être avantageuse pour l’organisme ou non. Il n'est pas possible de le prédire dans le cas des mutations naturelles.

 

Comment les différents procédés de culture sélective et de génie génétique se classent-ils en termes de sécurité ?

Chaque nouvelle variété de plantes doit être vérifiée avant d'être autorisée à la vente en Europe. Ce test est plus long et plus strict pour les plantes produites par génie génétique que pour les plantes issues de méthodes de culture sélective traditionnelles.

Pour les méthodes de culture sélective classiques , cela signifie généralement un examen approfondi.  Ces variétés doivent par exemple se distinguer des variétés existantes et présenter une amélioration par rapport aux variétés existantes. Elles sont ensuite inscrites au Catalogue européen des variétés végétales par l’Office européen des variétés végétales.

En revanche, les nouvelles variétés pour lesquelles on est intervenu dans le génome par des moyens techniques – c’est-à-dire à l’aide de l’espèce Agrobacterium, de canons à gènes ou de méthodes d’édition du génome telles que Crisp-Cas9 – sont considérées comme des organismes génétiquement modifiés (OGM) et doivent prouver leur innocuité pour l’homme et l’environnement moyennant de tests rigoureux, c'est-à-dire des études et des essais en laboratoire, en serre et en plein champ.

Suite à un arrêt de la Cour de justice européenne de 2018, les plantes obtenues par mutagenèse (c’est-à-dire par rayonnement ou par des produits chimiques) font désormais partie des organismes génétiquement modifiés. Le tribunal estime toutefois aussi que ces méthodes sont utilisées depuis si longtemps qu'elles peuvent être considérées comme sûres et ne sont donc pas soumises à des exigences réglementaires strictes. Les États membres de l’UE sont toutefois libres d’adopter une législation distincte sur leur territoire pour les variétés obtenues par mutagenèse.

En Grande-Bretagne, les variétés obtenues par édition du génome ne sont plus soumises à des procédures d’autorisation de mise sur le marché plus strictes depuis 2021. Elles répondent aux mêmes réglementations que les semences sélectionnées de manière classique. Entre-temps, l’UE s’emploie aussi à réformer son droit. Une analyse d'impact a déjà été mise au point à cet effet. L’adoption par la Commission européenne est prévue pour le deuxième trimestre 2023.

 

Quels sont les arguments des partisans du génie génétique et quels sont ceux des opposants ?

Les partisans du génie génétique vert argumentent d’une part que la croissance de la population combinée à un changement environnemental dû au changement climatique représente un défi pour notre production alimentaire. Les procédés de génie génétique – notamment les nouvelles méthodes d’édition du génome – permettraient ainsi aux plantes de s'adapter plus rapidement à l'évolution des conditions environnementales. La tolérance à la sécheresse et à la chaleur est souvent mentionnée dans ce contexte. D’autre part, les procédés de génie génétique permettent également de modifier les substances contenues dans les plantes. Le riz, par exemple, peut être modifié pour contenir de la vitamine A et prévenir les carences en cette vitamine. Les aliments pour animaux peuvent être modifiés de manière à réduire la production de méthane lors du processus de digestion dans l'estomac des bovins.

C'est là qu'interviennent les arguments des opposants au génie génétique. En effet, en plus des principales objections, ils argumentent que tous les avantages associés au génie génétique peuvent être obtenus par d'autres moyens. Ces autres moyens sont souvent associés à un changement d’attitude face à la vie et à un changement des conditions de vie. Au lieu de mieux adapter les plantes, il faudrait changer le type d'agriculture et produire de manière plus durable. Au lieu d’enrichir le riz en vitamine A, il faudrait diversifier l'alimentation dans les pays concernés. Au lieu de rendre les aliments pour animaux plus digestes, il faudrait en général consommer moins de viande, ce qui permettrait par la même occasion de disposer de plus de surface pour les cultures alimentaires.

Il est frappant de constater les divisions entre les partisans et les opposants dans la discussion sur le pour et le contre du génie génétique vert. Il semble qu’on ne puisse être que « pour » ou « contre ». Le « contre » paraît actuellement nettement l’emporter.

En effet, l’ampleur du rejet du génie génétique vert est démontrée par la Naturbewusstseinsstudie de 2019 – une enquête représentative sur la conscience écologique menée en Allemagne. Ainsi, quelque 81 % des personnes interrogées se sont prononcées en faveur d'une interdiction du génie génétique vert. 84 % ont estimé que : « L'homme n’a pas le droit de modifier génétiquement les plantes et les animaux de manière ciblée. » Et plus de la moitié des personnes interrogées (61 %) ne feraient pas confiance aux scientifiques qui s’expriment en faveur du génie génétique vert.

L’académie allemande des sciences Leopoldina  a identifié en Allemagne six arguments qui sont le plus souvent cités par les opposants au génie génétique vert. Les voici :

  • « La manipulation génétique n’est pas naturelle. »
  • « Les plantes génétiquement modifiées constituent un danger pour l’environnement. »
  • « Les produits issus du génie génétique vert peuvent déclencher des allergies. »
  • « Les produits issus du génie génétique vert augmentent le risque de cancer. »
  • « Les plantes génétiquement modifiées favorisent la propagation des résistances aux antibiotiques. »
  • « Le génie génétique vert sert à générer des profits pour l’industrie agricole »

Alors qu’il y a quelques années, la peur des risques pour la santé figurait encore au premier plan, aujourd’hui, l’argumentation porte plutôt sur les conséquences sociétales ou écologiques. Fait intéressant : la discussion ne semble désormais plus se focaliser sur la technologie en tant que telle. Au lieu de cela, elle est de nature de plus en plus idéologique. Deux visions du monde s’affrontent : l’une socio-écologique et l’autre inspirée du capitalisme technologique.

Pourquoi tant de gens craignent-ils le génie génétique ?

 

Le génie génétique est un procédé technologiquement avancé qui recèle de très nombreuses possibilités. Cela peut faire peur ou susciter un sentiment d'insécurité. De nombreux arguments contre le génie génétique ne sont toutefois pas dirigés contre le procédé en lui-même, mais contre les agissements des grands consortiums. Les critiques portent sur le fait qu’ils créeraient un système de dépendance avec leurs modèles commerciaux unilatéraux. Les agriculteurs doivent par exemple payer des droits de propriété aux grands consortiums qui ont produit les plantes génétiquement modifiées.

Les entreprises ont beaucoup investi dans la recherche et souhaitent être dédommagées. Et, le positionnement des détracteurs des OGM tourne en partie à l’avantage des multinationales. Plus les réglementations sont strictes et entraînent des coûts, plus il est probable que seules les grandes entreprises puissent se permettre le développement d'OGM.

Mais il y a lieu de s’interroger si la recherche orientée sur le marché aide ceux qui en ont le plus besoin. L'utilité des plantes transgéniques actuellement sur le marché est controversée. Il existe toutefois aussi des exemples où des universités mènent des recherches sur les plantes génétiquement modifiées afin de lutter contre les problèmes alimentaires dans les pays pauvres. Certains de ces projets recueillent davantage d’approbation.

Les critiques portent également sur le fait que le génie génétique favorise les monocultures. C'est en partie exact. Mais même sans génie génétique, la tendance est à la monoculture.

Parmi les autres raisons de rejeter le génie génétique, on cite très souvent des arguments selon lesquels le génie génétique serait dangereux. Ces arguments relèvent cependant souvent du ressenti ou découlent de malentendus et ne sont donc pas fondés sur des connaissances personnelles approfondies du génie génétique. Ainsi, en 2018, des scientifiques ont identifié dans une étude un lien entre les connaissances sur le génie génétique et l’attitude personnelle à son égard. Il était frappant de constater que les opposants les plus virulents en Allemagne, en France et aux États-Unis possédaient le moins de connaissances en la matière. De tels résultats suggèrent que le rejet extrême se fonde surtout sur les émotions.

Dans les prochains chapitres, nous aborderons les points suivants :

 

Existe-t-il des maladies qui peuvent être attribuées à la consommation d’organismes génétiquement modifiés ?

Jusqu'à présent, aucune preuve scientifiquement valable n'a été trouvée pour démontrer que la consommation d'aliments issus de plantes génétiquement modifiées affecte la santé.

La crainte que les plantes génétiquement modifiées puissent être cancérigènes est très souvent avancée comme argument contre le génie génétique vert. La principale source sur laquelle s'appuie cet argument est une étude de 2012. Un groupe de chercheurs français avait à l’époque nourri des rats avec du maïs génétiquement modifié traité au désherbant glyphosate lors des opérations de culture. Les rats ont développé des tumeurs. Ces résultats n’ont toutefois pas pu être reproduits par une autre étude de l'Union européenne. Les chercheurs français ont par ailleurs été accusés de graves lacunes dans leurs expériences. D’une part, avec dix animaux dans chaque groupe, le nombre de rats était si faible que la pertinence de l’analyse statistique en a été affectée. D’autre part, les chercheurs ont utilisé une souche de rats particulièrement sensible aux tumeurs – quelle que soit la nourriture utilisée.

Une revue de 2017 a révélé qu’environ 5 % de toutes les études sur la sécurité des plantes génétiquement modifiées aboutissent à des résultats inquiétants. Ces études porteraient sur un petit nombre d'événements. De même, ce serait toujours la même poignée de laboratoires qui arriveraient à de tels résultats. Ces 5 % d’études ont toutefois un impact bien plus important dans la couverture médiatique que les 95 % d'études restantes.

Une autre revue de 2014 s'est penchée sur les effets des aliments génétiquement modifiés sur les animaux d'élevage. Elle a conclu que « des ensembles de données de terrain portant sur plus de 100 milliards d’animaux après l’introduction de plantes utiles génétiquement modifiées n’ont pas montré de tendances défavorables ou anormales en ce qui concerne la santé et la productivité des animaux. » De plus, aucun des travaux de recherche examinés n’a montré la présence de traces d’aliments génétiquement modifiés dans les produits animaux tels que les œufs, la viande ou le lait.

 

Le risque d’allergies est-il plus élevé en cas de consommation de plantes génétiquement modifiées qu’en cas de consommation de plantes traditionnelles ?

Les personnes souffrant d'allergies alimentaires ont un système immunitaire qui réagit parfois très fort à certaines protéines qu'elles consomment. À cet égard, il n'y a pas de différence entre les aliments conventionnels et les aliments génétiquement modifiés. La peur réside dans l’idée qu’une manipulation génétique pourrait modifier le génome de telle sorte que la plante produirait soudainement une protéine allergène. C’est tout à fait possible, surtout avec la transgenèse. Le code de synthèse d’une protéine allergisante peut alors – comme cela s’est déjà produit  – migrer de la noix du Brésil vers le soja. Pour éviter de tels scénarios, il existe des règles pour l’évaluation de l’allergénicité des variétés génétiquement modifiées établies par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Elles n’ont pas seulement permis d’écarter du marché le soja allergène. Les partisans du génie génétique avancent ici l’argument selon lequel les risques potentiels peuvent être minimisés par des mécanismes appropriés. Ils ajoutent qu’étant donné que ce mécanisme de contrôle n’existe pas pour les variétés sélectionnées de manière conventionnelle, il y aurait théoriquement aussi un risque de présence d’allergènes, notamment pour ce qui est de la mutagenèse moins contrôlée. Ce risque ne serait toutefois pas détecté en raison de l'absence de mécanismes de contrôle.

 

Des substances toxiques peuvent-elles se former dans les aliments génétiquement modifiés ?

Les plantes développent des substances toxiques pour se défendre contre les ravageurs. Grâce à la culture sélective classique, certains de nos aliments actuels ont été modifiés de manière à contenir moins de substances toxiques. Mais ce processus n'est pas à sens unique. Les nouvelles variétés peuvent donc aussi parfaitement contenir plus de substances toxiques que leurs prédécesseurs. La manière dont la variété a été créée n'a pas d'importance.

Un exemple en est la variété de pommes de terre Lenape. Elle a fait l’objet d’une culture sélective classique aux États-Unis dans les années 1960. Elle avait été optimisée pour fournir les meilleures chips de pommes de terre. En effet, la consistance, la couleur et la texture des snacks dépendent en grande partie des substances présentes dans la pomme de terre utilisée – notamment de l’amidon et des différents types de sucre. Les pommes de terre produisent cependant aussi d’autres substances, dont la solanine, par exemple. C’est un poison qu’elles utilisent pour se défendre contre les ravageurs et qui n’est pas non plus très bon pour nous, les humains. Cette substance est bien entendu présente dans les pommes de terre que nous consommons. Elle se concentre particulièrement dans les parties vertes et juste sous la peau. La quantité totale est toutefois si faible que la substance n’est pas délétère pour notre santé. Avec la variété Lenape, cela n’était pas le cas. Une mutation aléatoire avait multiplié par trois la teneur en solanine par rapport à d’autres variétés. Des analyses ont été menées après des cas d'intoxication et la variété a été retirée du marché. L’augmentation de la quantité de substances toxiques peut donc aussi se produire avec la culture sélective conventionnelle. Mais contrairement aux procédures d’autorisation de mise sur le marché des variétés génétiquement modifiées, les variétés sélectionnées de façon conventionnelle ne font pas l’objet d’un examen approfondi à cet égard.

Il existe cependant aussi des indices selon lesquels les plantes génétiquement modifiées peuvent contenir moins de substances toxiques que leurs congénères sélectionnées de manière classique. Ainsi, le maïs a tendance à être attaqué par les moisissures du genre Fusarium moniliforme. Celles-ci produisent une substance toxique qui tue régulièrement les animaux d’élevage qui l'ingèrent avec la nourriture. Des tests sur des rats indiquent un effet cancérigène. La substance toxique survit à de nombreuses étapes de transformation et peut par exemple être détectée dans les cornflakes. En Grande-Bretagne, différents aliments à base de maïs ont été testés en 2003 pour détecter la présence de cette substance toxique. Un tiers de ces aliments ne pouvait plus être vendus par la suite. Selon différentes études, le maïs génétiquement modifié présente une très faible contamination par les moisissures. C’est dû à la manière dont le champignon arrive dans le maïs. Il utilise en effet les galeries que la pyrale du maïs a creusées dans l'épi. Des modifications génétiques ont toutefois permis au maïs Bt d’acquérir une résistance à la pyrale du maïs. La surface d’attaque du champignon semble ainsi aussi diminuer.

Quels sont les risques liés aux nouvelles méthodes d’édition du génome ?

Les procédés d’édition du génome sont certes beaucoup plus précis que le génie génétique classique ou la mutagenèse, mais ils ne sont toutefois pas exempts d'erreurs. Là aussi, des modifications accidentelles du génome peuvent entraîner des changements involontaires des propriétés des plantes. Il est possible que les variétés contiennent moins de nutriments ou soient plus sensibles à une maladie particulière. Il s’agit en principe des mêmes risques que ceux liés aux procédés basés sur le hasard. Mais en raison de l’intervention ciblée sur le génome, ils sont généralement moins probables.

Si tout fonctionne comme prévu, cela peut aussi représenter un risque. Par exemple, si la nouvelle variété est si robuste qu'elle supplante d'autres plantes. Certains affirment que les variétés dont le génome a été édité favorisent la propagation des monocultures.

 

Quelles plantes modifiées par génie génétique classique ont été mises sur le marché jusqu’à présent ?

L’International Service for the Acquisition of Agri-biotech Applications (ISAAA) recense 29 pays dans le monde qui ont cultivé des plantes génétiquement modifiées en 2019. L'organisation cite les États-Unis, le Brésil, l'Argentine, le Canada et l'Inde comme les cinq premiers pays. Le nombre de pays africains a doublé, passant de trois à six. Le Vietnam, les Philippines et la Colombie ont connu une croissance à deux chiffres de leurs surfaces cultivées.

Parmi les plantes, le soja était nettement en tête. Il représentait presque la moitié de toutes les plantes. Des variétés génétiquement modifiées de maïs, de coton et de colza sont aussi fréquemment cultivées. Pour ces variétés, la tolérance aux herbicides et la résistance aux insectes nuisibles figurent au premier plan. Plus de 45 % des nouvelles variétés introduites en 2019 combinaient ces deux propriétés. Outre les plantes mentionnées, des variétés génétiquement modifiées de betteraves à sucre, de luzerne, de pommes de terre, de pommes, de papayes et de courgettes ont également été cultivées. Au Bangladesh, des aubergines résistantes aux insectes ont poussé. De la canne à sucre génétiquement modifiée a été cultivée au Brésil et en Indonésie, et le Costa Rica a cultivé des ananas.

Dans l’UE, une seule variété génétiquement modifiée est actuellement autorisée à la culture, à savoir le maïs MON810 de Monsanto. Sur les 25 pays membres de l'UE, 19 ont interdit sa culture. Actuellement, cette variété n'est cultivée qu'en Espagne et au Portugal. Par contre, 71 variétés de plantes génétiquement modifiées peuvent être importées dans l’UE – parmi lesquelles on trouve le coton (10 variétés), le maïs (38 variétés), les œillets (4 variétés), le colza (6 variétés), le soja (12 variétés) et la betterave à sucre (1 variété). À l’exception des œillets, toutes les variétés peuvent être importées en tant que denrées alimentaires, aliments pour animaux ou autres produits.

 

Quelles plantes obtenues par édition du génome sont actuellement sur le marché ou sur le point d’être introduites ?

Depuis 2018, du soja dont le génome a été édité est cultivé à des fins commerciales aux États-Unis. La composition des graisses a été modifiée dans ce contexte. La concentration en acides gras saturés a été réduite et la quantité d’acides gras insaturés a augmenté. L’huile de soja Calyno a déjà reçu l’autorisation de mise sur le marché en tant que denrée alimentaire. Toujours aux États-Unis, on cultive depuis quelques années déjà du colza dont le génome a été édité qui est résistant aux herbicides.

Une variété de trèfle destinée à l’alimentation animale, par exemple, est sur le point d'être cultivée à des fins commerciales. Elle est censée être plus digeste pour les bovins. Différentes variétés de blé ou de pommes de terre sont également sur le point d’être cultivées. Rien qu’en 2020, plus de 60 demandes ont été adressées à l’autorité agricole des États-Unis pour cultiver des plantes génétiquement modifiées. Le feu vert a été donné, par exemple, au tabac à faible teneur en nicotine, aux oranges résistantes au cancer des agrumes ou au soja résistant aux insectes nuisibles.

Tout cela est rendu possible par une loi américaine qui autorise en règle générale assez facilement les plantes dont le génome a été édité lorsque la méthode utilisée fait appel à la cisgenèse. En d’autres termes, si aucun gène étranger à l’espèce n’a été introduit, la plante ne porte pas non plus la mention « OGM ». Cela facilite actuellement la mise sur le marché par de nombreuses start-up de nouvelles sélections variétales.

 

Le génie génétique peut-il rendre l’agriculture plus efficace ?

Oui. Le génie génétique permet d’adapter à très court terme les plantes à des conditions environnementales difficiles, telles que des sols très salés ou acides, par exemple, ou à la sécheresse. Et il peut rendre utilisables des parties de plantes qui ne sont actuellement pas encore comestibles. Le génie génétique offre ainsi une possibilité d’atténuer les conséquences du changement climatique, de la perte de surfaces arables et de la croissance démographique sur l’alimentation.

Voici quelques exemples :

Il existe depuis 2011 une variété de maïs génétiquement modifié qui résiste mieux à la sécheresse. Les rendements ainsi obtenus lors des essais en champ seraient supérieurs de 6 % à ceux obtenus avec des variétés traditionnelles. Dans le cas du soja génétiquement modifié pour le rendre résistant à la sécheresse, le rendement a été amélioré de 10 % dans les essais. Des recherches sont également menées pour mieux armer le blé, le riz ou les tomates contre la sécheresse. Il ne faut cependant pas oublier que la tolérance à la sécheresse peut aussi être obtenue par des procédés de culture sélective classiques.

Il en va toutefois autrement de la tolérance au sel. La salinisation des sols joue un rôle de plus en plus important. Une forte concentration de sels minéraux perturbe le métabolisme des plantes, ce qui rend leur croissance difficile, voire impossible. Pour augmenter la tolérance au sel du colza, par exemple, les chercheurs ont inséré des gènes provenant de l’arabette des dames, une plante communément considérée comme une mauvaise herbe. Comme les deux plantes appartiennent à des espèces différentes, on parle de transgenèse.

Les sols acides constituent aussi un défi majeur pour de nombreuses plantes cultivées. En effet, dans ce milieu, l’aluminium du sol se dissout et empêche la croissance de nombreuses espèces. C’est pourquoi les chercheurs s’efforcent de rendre les plantes utiles plus tolérantes à l'aluminium. Il reste toutefois encore beaucoup de travail de recherche à faire dans ce domaine.

Le génie génétique peut aussi rendre utilisables des parties de plantes qu’on éliminait jusqu'à présent en raison de leur toxicité. Cela concerne particulièrement le coton. La plante est cultivée pour ses fibres, qui sont transformées en t-shirts, chaussettes et toutes sortes d'autres textiles. Mais ces cultures génèrent aussi de grandes quantités de graines de coton riches en protéines. Malheureusement, elles ne peuvent pas être consommées par les hommes et les animaux, car elles contiennent aussi un cocktail de substances toxiques. Il est important pour la plante, car il lui permet de se protéger contre les ravageurs. Grâce à des procédés de génie génétique, il est désormais possible de réduire la concentration des substances toxiques dans les graines de manière à ce qu’elles puissent servir de denrées alimentaires destinées à la consommation humaine et animale. Dans les autres parties de la plante, la concentration reste inchangée, ce qui permet aux plantes de continuer à résister aux insectes voraces.

Le génie génétique permet-il d’améliorer les aliments ?

Oui. Mais la mise en œuvre paraît compliquée.

Le riz doré en est un exemple. Un gène étranger à l’espèce a été inséré dans le riz, ce qui incite la plante à produire davantage de bêta-carotène. Il s’agit d’un précurseur de la vitamine A, indispensable au corps humain. Dans les régions où le riz constitue l’aliment principal, les carences en vitamine A sont fréquentes. Des symptômes de carence apparaissent, qui peuvent entraîner une perte de vision, surtout chez les enfants.

Greenpeace s’oppose fondamentalement au riz doré et met en garde contre des effets inconnus sur la santé, des contaminations de variétés de riz existantes et une promotion de la malnutrition. En 2016, plus de 100 lauréats du prix Nobel ont toutefois appelé Greenpeace à mettre fin à ses campagnes contre le riz doré dans la Déclaration de Mainau. Ils y affirment qu’il n’y a aucune preuve d’effets délétères sur la santé et que l'impact sur l'environnement est également faible. Ils accusent indirectement Greenpeace de « crimes contre l’humanité ». Les pratiques sont donc dignes d’un sport de combat.

Entre-temps, certains États ont créé des faits accomplis. Le riz doré a ainsi été autorisé comme aliment en Australie et en Nouvelle-Zélande en 2017 et aux États-Unis et au Canada en 2018. Une décision sur l’autorisation pour la culture doit encore être prise. Et aux Philippines, le riz doré peut être cultivé à des fins commerciales sans restrictions depuis 2021.

Un autre exemple notoire est la « tomate Flavr Savr ». Mais là aussi, c'est compliqué. La tomate Flavr Savr (entendez, « qui conserve sa saveur ») a été génétiquement modifiée de manière à ce que les parois cellulaires restent stables plus longtemps pendant la maturation. Le fruit peut donc rester plus longtemps accroché à la branche et former des arômes sans pourrir. En 1994, cette tomate a fait son apparition dans les magasins aux États-Unis. Elle y a été le premier aliment génétiquement modifié à être mis sur le marché – et s’est très vite heurté à un manque d’intérêt des consommateurs. Elle n’a pas non plus convaincu l’industrie alimentaire, car les machines n’étaient tout simplement pas conçues pour les nouvelles propriétés de cette tomate. La culture s’est aussi avérée difficile, car si la tomate pourrissait moins vite, elle était moins résistante aux maladies que d'autres variétés. C’est pourquoi dès 1997, la tomate Flavr Savr a de nouveau disparu des champs.

 

Le génie génétique peut-il sauver les aliments menacés d’extinction ?

Oui, le génie génétique peut sauver des aliments menacés d’extinction, comme l’a montré la variété de papaye SunUp. Les scientifiques ont l’intention de procéder de même avec la banane.

La vie est une compétition permanente. Par exemple, entre les virus et les plantes. Les individus infectés meurent ou développent une résistance qu'ils transmettent à leur descendance. Au cours de l'évolution, un équilibre s'établira donc toujours. Dans notre agriculture moderne en revanche, il en va tout autrement. Les monocultures, par exemple, sont généralement un pays de cocagne pour les parasites. Et les variétés sélectionnées pour être hautement performantes ont souvent perdu leur résistance à certaines maladies. Il n'est donc guère possible d'attendre que les plantes cultivées s'adaptent d'elles-mêmes.

La culture sélective classique peut aider dans ce contexte. Des variétés résistantes, mais moins productives sont croisées avec des variétés modernes à haut rendement. Ce procédé prend cependant généralement plus de temps et ne fonctionne que si les gènes de résistance sont déjà présents dans une plante de la même espèce. Le génie génétique peut accélérer ce processus en incorporant les gènes de résistance responsables directement dans la nouvelle variété. Si l’on fait appel à la transgenèse, la marge de manœuvre s'élargit considérablement. Dans ce cas, il est possible d’insérer les gènes de résistance correspondants provenant d'autres organismes.

Un exemple en est la papaye. Ce fruit tropical de la famille des melons a été menacé par un virus dans les années 90 du siècle dernier. À Hawaï, les récoltes ont considérablement reculé. L’introduction d’un gène de résistance a permis de créer la variété transgénique SunUp, qui a ensuite été croisée avec une variété non transgénique. Résultat : Rainbow – une variété résistante aux virus qui a permis de stabiliser à nouveau les récoltes.

Ce n’est pas un virus, mais un champignon qui menaçait les producteurs de bananes du monde entier il n’y a pas très longtemps. Ceux qui se disent « et alors, on n'a qu'à remplacer les bananes par des pommes » ignorent l’importance de ce fruit tropical jaune. Pour près d’un demi-milliard de personnes, la banane fait partie des aliments de base. Et environ 40 % de toutes les bananes produites pour l’exportation proviennent d’une seule variété – la banane Cavendish (voir infobox). Celle-ci était justement extrêmement vulnérable au champignon. La survie économique de nombreux producteurs de bananes était donc en jeu. Des chercheurs ont trouvé la solution en 2017. Ils ont introduit dans la variété Cavendish un gène de résistance provenant de bananes sauvages. D’ailleurs, un gène de résistance similaire est déjà présent à l’état naturel dans la banane Cavendish. Il n’est toutefois que très peu développé, de sorte que les plantes ne sont pas suffisamment protégées contre le champignon. Aujourd’hui, les chercheurs prévoient de renforcer l’activité de ce gène par édition du génome. Ils obtiendraient ainsi une banane résistante sans devoir utiliser le matériel génétique d'une autre variété.

Infobox

Clone jaune sucré

Le bananier cultivé par le jardinier et botaniste anglais Joseph Paxton au XIXe siècle était un cadeau de son employeur William George Spencer Cavendish, 6e duc de Devonshire. Il s’agissait de la première culture de bananes au Royaume-Uni et, d'un point de vue actuel, sans doute la plus réussie. En effet, 99 % de toutes les bananes produites actuellement pour l’exportation appartiennent à la variété Cavendish, que le cultivateur a nommée après son patron. Et ce n’est pas fini : tous les bananiers Cavendish du monde sont des clones identiques d’une seule plante que le duc a diffusée outre-mer. Les bananes utilisées dans l'agriculture ne peuvent pas être multipliées à l'aide de graines. En effet, ces dernières ont été retirées du fruit jaune au travers d’une culture sélective. Les nouvelles plantes sont cultivées à partir de pousses qui émergent de la racine. Il s’agit de copies 1:1 de la plante mère.

Un problème demeure : l'acceptation

D'un côté, des discours alarmistes, de l'autre, des promesses de salut. Pourquoi la discussion s’est-elle enlisée ? C’est difficile à dire. Une thèse : au début, les grands consortiums ont trop promis, trop enjolivé les faits et mis en place des systèmes aux conséquences décourageantes. Des réactions violentes et radicales se sont rapidement fait entendre. Depuis, ce sont les raisonnements en noir et blanc qui dominent. Et à chaque tentative de conciliation, le médiateur risque d'être accusé par les partisans d'un camp de faire de la propagande pour l'autre.

Le fait est que dans de nombreux pays d’Europe, le génie génétique est rejeté. Même s’il recèle un fort potentiel, il ne peut pas vraiment être exploité. De même, beaucoup de gens en Europe peinent à comprendre l’argument de la faim dans le monde. En Europe, beaucoup d’aliments sont gaspillés au lieu d'être consommés. D'aucuns affirment donc qu’il n’est pas nécessaire de recourir au génie génétique en Europe, surtout parce que la population est très sceptique à son égard. Pourquoi produire quelque chose que la majorité rejette ? Il existe aussi des interdictions de culture dans de nombreux pays européens. Les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés peuvent toutefois être importés en Europe, à condition qu'ils soient étiquetés. Les grands consortiums déplorent par contre que le scepticisme et les interdictions empêchent l'exploitation d'un vaste marché.

L’Europe ne joue effectivement qu'un rôle secondaire lorsqu'il s'agit de plantes génétiquement modifiées. Celles-ci sont principalement cultivées dans des pays comme les États-Unis, le Canada et le Brésil. L’Inde et la Chine se mettent aussi en ordre de bataille. Les plantes génétiquement modifiées présentes sur le marché jusqu'à présent sont destinées à ces marchés.

Cependant, dans de nombreux pays en développement, où la lutte contre la faim est la plus pressante, les conditions environnementales sont différentes et affectent le rendement. Les sols pauvres et les sécheresses, comme celles qui ont frappé l’Afrique de l’Est, peuvent provoquer des catastrophes humanitaires. Les besoins sont également différents : par exemple, le besoin d'économiser l'eau. Développer des plantes qui nécessitent moins d’eau reste un objectif louable. Tout comme le fait de faire pousser des plantes sur des sols salés afin de rendre cultivables des surfaces jusqu’ici inadaptées, si possible avec des méthodes de culture sélective conventionnelles. Si nécessaire, en faisant appel au génie génétique ?

L’avenir nous dira dans quelle mesure le génie génétique s'avérera utile – ou pas.

 

Auteur : Kai Dürfeld (pour scienceRELATIONS - Communication scientifique)
Coauteur : Jean-Paul Bertemes (FNR)
Traduction : Nadia Taouil (t9n)

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Sources
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