Emmanuel Defay

© Uwe Hentschel

Emmanuel Defay fait des recherches pour rendre les matériaux piézoélectriques aussi transparents que possible.

Dans le langage courant, une distinction est faite pour nous, humains, entre cinq sens. Nous pouvons entendre, sentir, goûter, voir et toucher. Nos téléphones portables possèdent déjà deux de ces sens. Tout d'abord, ils nous ont permis d'entendre, puis de voir grâce au progrès technologique en matière de smartphone. Au Luxembourg Institute for Science and Technology (LIST), la recherche concernant la troisième étape est déjà en cours : le sens du toucher. Emmanuel Defay est l'un de ces chercheurs. Ce spécialiste des matériaux se consacre notamment aux matériaux piézoélectriques. 

Emmanuel, en quoi consistent les matériaux piézoélectriques ?

Les matériaux piézoélectriques sont des isolants qui empêchent la circulation du courant. Dans le cas d’isolants, composés par exemple de verre, caoutchouc ou plastique, lorsqu’on applique une tension électrique, le courant électrique ne peut pas circuler. Cependant,  l’application d’une tension électrique dans un matériau piézoélectrique induit une déformation mécanique. 

Au département matériaux du LIST, nous sommes spécialisés dans ce domaine et plus spécifiquement dans l’élaboration de films très minces de l’ordre du micromètre, qui peuvent être intégrés dans des smartphones ou des montres, notamment. En règle générale, le silicium y est utilisé comme support. Mais nous souhaitons nous intéresser en particulier à l’application de ces matériaux piézoélectriques sur verre. Et ce verre pourrait alors être utilisé comme fenêtre dans des maisons ou des véhicules, voire même dans des smartphones. 

Qu'est-ce qu'une telle application apporte à la surface d'un smartphone ?

Nous travaillons actuellement avec une start-up française – Hap2U – qui dispose déjà d’une application technique à cette fin. Il ne s’agit toutefois pas encore de films ultra-minces, mais pour l’heure de petites surfaces d'environ un centimètre carré et d’une épaisseur d'un millimètre. Celles-ci sont montées sur l'écran d'un smartphone. Le rôle de ces films ou plots plats piézoélectriques est de transférer les vibrations sur le verre. 

La transmission des vibrations au sein du smartphone n'a néanmoins rien de nouveau…

Oui, c'est vrai. Les smartphones peuvent vibrer et on peut aussi le ressentir avec la main. Mais ce qui n'est pas possible, c'est une perception différenciée et fine avec les doigts. Vous ne ressentez donc que la vibration, mais pas plus. Grâce à cette nouvelle technologie, par laquelle les ondes acoustiques sont générées à une fréquence beaucoup plus élevée, les vibrations peuvent varier de multiples façons, et ce, très finement. 

Il est donc possible de simuler la texture des objets que nous voyons sur l'écran au moyen de vibrations. À titre d’exemple, nous voyons une pierre sur l'écran, faisons glisser notre doigt dessus et la sensation d’une pierre apparaît. Vous pouvez tout aussi bien sentir la texture de différents textiles sur l'écran. 

Si je souhaite donc commander un pantalon ou un T-shirt en ligne à l'avenir, je pourrai palper au préalable pour vérifier si le tissu est agréable ou non ?

Exactement. C'est l'un des domaines d'application possibles. L’entreprise avec laquelle nous travaillons a développé un modèle de démonstration très clair pour montrer ce qui est faisable. Ils ont équipé une tablette de cette technologie. Un poisson avec des écailles est visible sur l'écran. En fonction de la direction dans laquelle l'utilisateur fait glisser son doigt sur les écailles du poisson, il ressent celui-ci soit lisse au toucher, soit avec une petite résistance à chaque écaille. En association avec l'image du poisson, cela donne l'impression que la structure des écailles peut réellement être ressentie. Dans la même veine, cette technologie est la seule capable de proposer des solutions de type bouton. Cela permet de ressentir un « click » quand on appuie sur la surface de verre.  

Les matériaux piézoélectriques doivent-ils donc être aussi transparents que possible ?

C'est précisément le défi à relever. Dans la plupart des cas, les isolants sont de toute façon transparents. Ce dont nous avons besoin, ce sont des électrodes également aussi transparentes que possible qui est un autre sujet de recherche du département matériaux. Et nous menons des recherches pour parvenir à un tel assemblage. Une telle transparence n'est pas nécessaire pour l’ensemble des applications piézoélectriques sur verre, mais dans notre cas précis, elle l'est.

Quand pensez-vous que nos smartphones ou tablettes seront équipés de cette technologie ?

Cela est difficile à dire. Mais nous y travaillons sans relâche dans de nombreux domaines. Sur l’échelle TRL (Technology Readiness Level), qui définit le niveau de développement d'une nouvelle technologie sur une échelle de un à neuf, j’estime que nous sommes actuellement aux alentours du niveau quatre. Nous sommes donc à un stade où l'industrie est déjà impliquée, teste et développe des applications.  

Interview : Uwe Hentschel

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Comment les composants piézoélectriques sont-ils appliqués sur le verre ?

Emmanuel Defay ajoute : « Il existe différentes options. Nous procédons avec une imprimante, car la matière première avec laquelle nous travaillons est liquide. Cela rend l'application relativement peu coûteuse, car on ne peut appliquer le matériau que précisément là où cela est nécessaire. 

Une autre option consiste à appliquer le liquide sur une surface en verre en rotation. Le liquide est ensuite réparti uniformément par la force centrifuge. Puis, on grave chimiquement ce dont on n'a pas besoin. Contrairement à l'impression, cette méthode est beaucoup plus lourde et engendre beaucoup de gaspillage de matière première, ce qui rend la variante avec impression plus intéressante d'un point de vue économique et écologique. » 

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