© Thomas Elliot

Thomas Elliot lors de la présentation virtuelle de ses travaux de recherche

Normalement, la distance se parcourt en avion. Après tout, plus de 18 000 kilomètres séparent la Nouvelle-Zélande de Londres. Thomas Elliot, pour sa part, a opté pour une solution plus durable, bien qu’elle soit aussi beaucoup plus longue. Après avoir décroché son master en génie de l’environnement, le Néo-Zélandais a pris la route en 2015. Il a d’abord traversé le Pacifique à la voile avec des amis pendant quatre mois pour rejoindre l’Indonésie. Après cela, il a parcouru l’Asie du Sud-Est et l’Inde à vélo, puis l’Europe du Sud-Est avant de se diriger vers le nord pour atteindre Londres. L’ingénieur en environnement a voyagé pendant neuf mois en tout. Neuf mois qui l’ont façonné, lui et ses futurs travaux de recherche.

Conception d’un outil en ligne pour les urbanistes et les décideurs politiques

Une fois à Londres, T. Elliot a découvert, lors d’un forum de recherche, le projet ESTIMUM (Ecosystem Service Toolbox developed from multi-scale Integrated Modelling of Urban Metabolism) dirigé par Benedetto Rugani au Luxembourg Institute of Science and Technology (LIST). Le projet ESTIMUM a pour but de mettre au point un outil en ligne destiné à montrer aux urbanistes ou aux décideurs politiques les conséquences de différents scénarios de développement sur notre environnement et notre santé. Cela pourrait alors donner lieu à des mesures compensatoires appropriées - c’est du moins ce qu’espère T. Elliot. 

« Plus de la moitié de la population mondiale vit en ville, et ce chiffre ne cesse d’augmenter » explique-t-il. En Europe, ce sont déjà les trois quarts de la population. « Il y a donc une énorme consommation de ressources énergétiques et alimentaires dans les villes surtout, dont les conséquences environnementales se font ressentir dans d’autres régions du monde » poursuit le chercheur. « Nous avons donc affaire à des problèmes qui sont en quelque sorte cachés parce qu’ils se manifestent ailleurs ».

L’augmentation de la consommation accroît l’injustice environnementale

La Nouvelle-Zélande, son pays d'origine, exporte par exemple de grandes quantités de viande et de lait. « Quand vous consommez des produits néo-zélandais à Pékin, cela a très peu d’impact sur votre environnement immédiat, mais cela en a en Nouvelle-Zélande où est pratiquée l’agriculture intensive, qui nécessite beaucoup de terrain, beaucoup de nourriture et beaucoup d’énergie ».

Thomas Elliot a traversé l'Asie à vélo pour rejoindre l'Europe

T. Elliot a vu où et sous quelle forme ces problèmes peuvent survenir en voyageant dans les pays d’Asie du Sud-Est. « J’ai rencontré des gens qui vivent dans des conditions difficiles et qui luttent contre les conséquences de l’injustice sociale et environnementale » dit-il. C’est ce qui l’a motivé à étudier les rapports de cause à effet entre la consommation et cette injustice dont il a été témoin. C’est dans les villes que la consommation est la plus forte. D’une part, bien sûr, parce que la plupart des gens y vivent, explique-t-il, mais d’autre part aussi parce que les villes accueillent toujours plus de personnes qui pensent accéder là à un meilleur niveau de vie.

Le métabolisme urbain

Ce développement stimule ce que le projet ESTIMUM appelle le « métabolisme urbain ». Cette expression désigne la manière dont circulent les matériaux et l’énergie dans une ville, leur valeur ajoutée et la fin de leur cycle de vie sous forme de déchets et d’émissions.

Le projet interdisciplinaire couvre différents domaines. T. Elliot a contribué au projet dans le cadre de sa thèse de doctorat. Il a travaillé avec un modèle qui réunit de nombreux aspects des sciences de l’environnement. Par exemple, les prévisions relatives à la future imperméabilisation des sols dans les villes sont prises en compte. « Si nous savons que la population va augmenter d’un certain pourcentage, nous devons supposer que les besoins en logements vont augmenter en conséquence » indique-t-il. Son modèle a pour but d’approcher ces effets à l’aide d’une analyse du cycle de vie.

Révéler les interrelations complexes à l’aide de la dynamique des systèmes

« Prenons par exemple mon smartphone. Il faut de l’énergie pour le faire fonctionner et en fin de vie, ces composants peuvent être recyclés. Mais il faut d’abord le fabriquer. Et ce processus peut engendrer par exemple une pollution de l’eau potable et d’autres effets environnementaux négatifs. Mais il en va de même pour la viande et d’autres produits alimentaires » explique-t-il. En combinant l’analyse du cycle de vie et les prévisions de développement futur d’une ville, il est possible de prévoir les répercussions de différents scénarios. 

La formation de T. Elliot incluait également l’étude des mathématiques. Dans son travail, il a donc aussi eu recours à la dynamique des systèmes. Cette méthodologie, élaborée par un informaticien américain dans les années 1950, sert à modéliser, simuler, analyser et concevoir des situations dynamiques et complexes dans des systèmes (principalement socio-économiques). Concrètement, la dynamique des systèmes permet donc de montrer les effets de développements urbains sur le système mondial.

Les effets du développement urbain ne peuvent être compensés localement que jusqu’à un certain point

« Mes recherches visent à montrer comment les effets de ces interrelations complexes peuvent être atténués par des mécanismes de compensation écologique », déclare T. Elliot. « Il peut s’agir par exemple de nouveaux espaces verts créés dans la ville, mais aussi de projets soutenus ou initiés pour contrebalancer les effets de la croissance urbaine là où ils se font sentir. » Le problème dans les villes, c’est que l’espace est limité, dit-il. « Plus le nombre d’habitants est important, moins il y a de place disponible en local pour compenser les impacts associés ».

À l’avenir, les utilisateurs pourront transmettre des données pour contribuer à l’amélioration de l’outil en ligne développé dans le cadre du projet ESTIMUM. Il peut s’agir des chiffres de l’évolution démographique par exemple, afin de simuler différents scénarios. « Le résultat est une carte de la ville sur laquelle se voient les répercussions environnementales, les contributions de l’écosystème, mais aussi les impacts d'un profil spécifique de consommation dans et hors de la ville. »

Repenser totalement nos habitudes de consommation

Mais en fin de compte, la consommation des ressources doit être modifiée et les individus doivent apprendre à consommer autrement, souligne l’ingénieur en environnement. « Il faut miser sur des produits plus durables, mais surtout, réduire notre consommation de ressources ou au moins consommer mieux » précise-t-il. « Nous alimentons en plantes des animaux que nous mangeons ensuite, alors que la valeur nutritive de ces mêmes plantes est supérieure à celle de la viande ainsi produite ». Il s’agit d’un problème de taille sur lequel les décideurs ont peu de prise car il n’est pas possible de dicter des habitudes alimentaires aux gens. Il est beaucoup plus facile pour les municipalités et les urbanistes de prendre des mesures visant à réduire la circulation des voitures et poids lourds ou de proposer des transports en commun gratuits, explique le chercheur. « C'est utile, mais les bénéfices de ces mesures restent minimes face à l’ampleur du problème. »

Auteur : Uwe Hentschel

Photos : Thomas Elliot

Thomas Elliot a défendu sa thèse doctorale intitulée "The far-reaching impacts of urbanisation on ecosystem services and how we can tackle them" dans une visioconférence publique le 14 janvier 2021 à l'Instituto Superior Técnico à Lisbonne, Portugal.

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