
Véronique Faber/Uni Luxemburg
« Schueberfouer » à Chicago en 2024
Note de la rédaction: Ceci est une traduction d'un article publié le 22 août 2024 sur le site internet du C2DH de l'Université du Luxembourg.
Fondée en 1340, la « Schueberfouer », la plus grande fête foraine du Luxembourg, attire chaque année des visiteurs et des marchandises du Luxembourg et de l’étranger. À Chicago, les émigrés luxembourgeois célèbrent leur propre version de cette fête foraine, qu’ils considèrent comme un élément essentiel de leur héritage culturel. Véronique Faber, doctorante au Luxembourg Centre for Contemporary and Digital History (C²DH), a assisté à la fête foraine l'année dernière et retrace l’histoire fascinante de cet événement unique.
Le 22 août, la « Schueberfouer » luxembourgeoise, appelée « Schobermesse » en allemand, donne le coup d’envoi de sa 683ᵉ édition. Parallèlement, la Luxembourg Brotherhood of America célèbre sa 88ᵉ « Schobermesse ».
Cette association fondée à Chicago en 1887 est structurée en plusieurs sections. En 1904, à une époque marquée par un désintérêt pour les associations, l’une des sections de Chicago a cherché à accroître le nombre de ses membres en recréant la traditionnelle fête foraine luxembourgeoise. Si l’événement est aujourd’hui un pique-nique animé avec des tombolas et de la musique, à ses débuts, il s’agissait d’une fête populaire de deux jours avec des attractions, des jeux, ainsi que des expositions de fleurs et de produits agricoles. Le programme de 1945 la qualifiait même de « vitrine des Luxembourgeois aux États-Unis ».
Transferts transatlantiques et intégration culturelle
L’analyse de l’impact des transferts transatlantiques sur la fête foraine de Chicago s’inscrit dans une étude plus vaste sur l’interconnexion des composants nationaux, transrégionaux et transnationaux au sein de la culture foraine populaire luxembourgeoise, en prenant la « Schueberfouer » comme étude de cas entre 1945 et 1975. Cette étude de cas empirique fait partie du projet « Popular Culture Transnational – Europe in the Long 1960s » du C2DH. La fête foraine de Chicago offre une occasion unique d’analyser les transferts culturels et les dynamiques d’adaptation entre le Luxembourg et les États-Unis.
Pour comprendre dans leur intégralité les transferts entre une fête foraine à Luxembourg et une fête foraine à Chicago, il est essentiel de tenir compte du contexte migratoire plus large. La majorité des Luxembourgeois qui ont émigré à Chicago sont partis entre 1840 et 1890. Ils venaient principalement de la région de la Moselle et de l’ouest du Luxembourg. Ces migrants, pour la plupart issus du monde agricole, se sont installés dans le nord de Chicago, où les terrains étaient abordables. Au départ, les Luxembourgeois de Chicago travaillaient dans l’horticulture et l’agriculture, avant de se faire connaître pour la construction de serres pour les légumes et les fleurs.




La communauté luxembourgeoise entretenait des liens étroits avec les immigrés allemands. Leurs enfants fréquentaient les mêmes écoles et les adultes prenaient part aux mêmes activités sociales. Au moment de leur émigration, le Luxembourg était encore engagé dans son processus d’indépendance et de nombreux émigrants indiquaient « Luxembourg, Allemagne » comme pays d’origine sur les documents officiels. Après la Première Guerre mondiale, l’hostilité envers les Allemands aux États-Unis a eu un impact notable sur les communautés d’immigrés, notamment sur celle du Luxembourg.
En réaction, beaucoup de groupes d’immigrés ont commencé à mettre en avant leur propre identité culturelle afin de mieux s’intégrer et de prendre des distances face aux associations négatives liées à leurs origines ethniques. Pour les Luxembourgeois, cela signifiait mettre davantage l’accent sur leur langue, leurs traditions et leurs pratiques culturelles afin de préserver et de célébrer leur héritage.
D’une décision économique à une célébration nationale
Les origines de la fête foraine de Chicago remontent à 1904, quand Peter Malget, président de la section 3, a discuté de l’idée avec Nic Karthauser, un restaurateur allemand dont l’établissement était un lieu de rencontre prisé de la population luxembourgeoise. Karthauser, qui s’était déjà rendu à la « Schueberfouer » au Luxembourg, avait incité Malget à organiser un événement similaire à Chicago pour attirer davantage de monde. Une analyse des transferts culturels doit donc aussi tenir compte des attractions de la fête foraine luxembourgeoise de la fin du XIXᵉ siècle, dont le jeu de force « Hau den Lukas » et des activités populaires, comme l’escalade d’arbres et le jeu de quilles, qu'on retrouvait également à la fête foraine de Chicago.
Les éléments importés du Luxembourg au XIXᵉ siècle ont ensuite été influencés par la culture populaire américaine des années 1960. Par exemple, des plats luxembourgeois traditionnels comme la Quetschentaart ont été intégrés dans des pratiques culturelles américaines, comme en témoignent des événements, tels que les concours de gâteaux, ce qui reflète un changement à la fois de contexte et de forme. Une analyse détaillée des différents transferts et de leurs adaptations sera présentée dans la thèse à venir. À ce stade préliminaire, on peut conclure que la culture populaire a connu une transformation considérable durant les « longues années 1960 ».
La culture de masse : un catalyseur et un facteur perturbateur
Dans les années 1960, la culture de masse offrait une alternative contrastée à la culture populaire ethnique, ce qui a influencé la manière dont les individus construisaient leur identité. Alors qu’au XIXᵉ siècle et au début du XXᵉ siècle, la culture de masse contribuait à redynamiser les fêtes ethniques, elle est devenue par la suite la force dominante en captant l’attention des générations successives d’immigrés. Jusqu’en 1963, la fête populaire de Chicago avait pour principal but d’accueillir des réunions de famille, les « Luxembourg Gardens » offrant l’espace nécessaire pour de grands rassemblements que les habitations privées ne pouvaient recevoir. Cependant, avec la mobilité croissante, la dispersion des membres de la famille ainsi que la fermeture des Jardins, les gens ont cherché d’autres lieux pour les contacts sociaux. La dernière « Schobermesse » a eu lieu en 1967, faute de bénévoles et d'un endroit approprié. Ce changement est considéré comme la tendance la plus marquante des années 1960 et le regain d’intérêt pour les pratiques culturelles n’a refait son apparition que plus tard. La « Schobermesse » a été relancée en 2001 pour célébrer le patrimoine luxembourgeois et renouer avec les familles d’origine luxembourgeoise.

Véronique FABER, Doctorante au C2DH.
Auteur : Véronique Faber (C2DH)
Édition : Linda Wampach (FNR)
Traduction : Nadia Taouil (www.t9n.lu)